lunes, 19 de junio de 2023

louis aragon / dos poemas













Lo que dice Elsa

*

Me dices que estos versos son oscuros, y acaso
lo son, sin embargo, menos de lo que he querido.
Cerremos nuestra ventana sobre la felicidad robada,
          por miedo a que entre el día,
y vele para siempre la foto que deseaste.

Me dices nuestro amor si es que inaugura un mundo,
es un mundo en el que la gente gusta de hablar
                                                                sencillamente.
Deja allá a Lancelot, deja la Tabla Redonda,
          Ireo Virnana Esclarnionda,
que por espejo tenía una espada deformadora.

Lee el amor en mis ojos y no en las sombras.
No trastornes tu corazón con sus antiguos filtros.
Las ruinas a mediodía son solamente escombros.
          Ésa es la hora en que tenemos dos sombras
para mejor estorbar el arte de los románticos.

Tendría acaso la noche más encanto que el día.
Vergüenza para aquellos que ante el puro cielo no
                                                               suspiran.
Vergüenza para aquellos que, un niño de golpe no
                                                             desarma.
Vergüenza para aquellos que no tienen lágrimas
para un canto callejero una flor en los prados.

Tú me dices si tú quieres que te ame y te ame.
Es preciso que ese retrato que vas a pintarme
tenga como un verde nido sobre fondo de crisantemo.
             Un tema escondido en su tema.
Y une al amor el sol que ha de venir.

~

Los ojos de Elsa

*

Inclinando a tus ojos los míos sitibundos
en su fondo vi todos los soles reflejados,
y el salto hacia la muerte de los desesperados,
como el de mis recuerdos a tus ojos profundos.

Es un mar en tinieblas bajo el palio de un vuelo;
de pronto el día plácido de tus pupilas sube;
en los linos del ángel recorta el sol la nube
y sobre las espigas se azula más el cielo.

Vuelve al azul la bruma del viento perseguida;
-más diáfanos tus ojos abiertos bajo el llanto;
ni aún tras de la lluvia los cielos fulgen tanto;
el vaso azul no es tan azul como en la herida.

Madona de Dolores, humedecida lumbre,
siete espadas rompieron el prisma de colores;
el día es más punzante nacido entre clamores,
y el nocturno relente, más azul en quejumbre.

De las melancolías en la plácida fiebre
reabres con tus ojos sendas de epifanía.
Latiendo el corazón, el manto de María
al tiempo los Tres Magos vieron en el pesebre.

Al Mayo de las voces basta con un salterio
para todos los ayes y todas las canciones;
guarda un trozo de cielo luceros por millones,
donde faltan tus ojos con su doble misterio.

El infante absorbido por miríficos viajes
desmesuradamente menos asombro espacia
que si agrandas tus ojos -insoluble falacia-
como racha que abriera dos capullos salvajes.

¿Escondes tus relámpagos en medio del espliego
donde el insecto vive su voluptuoso instante?
Preso estoy en el lazo de la estrella filante,
como ahogado marino bajo estival sosiego.

Yo extraje ese metal sutil de su pechblenda;
yo calciné mis dedos en su fuego prohibido;
paraíso mil veces recobrado y perdido,
tus ojos mi Golconda, mi dorada leyenda.

Y sucedió que el mundo bajo la tarde excelsa
rompiose en arrecifes de pérfidos fanales,
en tanto yo veía desde los litorales
sobre lívidas ondas brillar los ojos de Elsa.

***
Louis Aragon (París, 1897-1982)
Versiones de María Dolores Sartorio y Carlos López Narváez, respectivamente.

/

Ce que dit Elsa

*

Tu me dis que ces vers sont obscurs et peut-être
Qu'ils le sont moins pourtant que je ne l'ai voulu
Sur le bonheur volé fermons notre fenêtre
De peur que le jour n'y pénètre
Et ne voile à jamais la photo qui t'a plu

Tu me dis Notre amour s'il inaugure un monde
C'est un monde où l'on aime à parler simplement
Laisse là Lancelot laisse la Table Ronde
Yseut Viviane Esclarmonde
Qui pour miroir avaient un glaive déformant

Lis l'amour dans mes yeux et non pas dans les nombres
Ne grise pas ton cœur de leurs philtres anciens
Les ruines à midi ne sont que des décombres
C'est l'heure où nous avons deux ombres
Pour mieux embarrasser l'art des sciomanciens

La nuit plus que le jour aurait-elle des charmes
Honte à ceux qu'un ciel pur ne fait pas soupirer
Honte à ceux qu'un enfant tout à coup ne désarme
Honte à ceux qui n'ont pas de larmes
Pour un chant dans la rue une fleur dans les prés

Tu me dis laisse un peu l'orchestre des tonnerres
Car par le temps qu'il est il est de pauvres gens
Qui ne pouvant chercher dans les dictionnaires
Aimeraient des mots ordinaires
Qu'ils se puissent tout bas répéter en songeant

Si tu veux que je t'aime apporte-moi l'eau pure
A laquelle s'en vont leurs désirs s'étancher
Que ton poème soit le sang de ta coupure
Comme un couvreur sur la toiture
Chante pour les oiseaux qui n'ont où se nicher

Que ton poème soit l'espoir qui dit A suivre
Au bas du feuilleton sinistre de nos pas
Que triomphe la voix humaine sur les cuivres
Et donne une raison de vivre
A ceux que tout semblait inviter au trépas

Que ton poème soit dans les lieux sans amour
Où l'on trime où l'on saigne où l'on crève de froid
Comme un air murmuré qui rend les pieds moins lourds
Un café noir au point du jour
Un ami rencontré sur le chemin de croix

Pour qui chanter vraiment en vaudrait-il la peine
Si ce n'est pas pour ceux dont tu rêves souvent
Et dont le souvenir est comme un bruit de chaînes
La nuit s'éveillant dans tes veines
Et qui parle à ton cœur comme au voilier le vent

Tu me dis Si tu veux que je t'aime et je t'aime
Il faut que ce portrait que de moi tu peindras
Ait comme un ver vivant au fond du chrysanthème
Un thème caché dans son thème
Et marie à l'amour le soleil qui viendra

~

Les Yeux d'Elsa

*

Tes yeux sont si profonds qu'en me penchant pour boire
J'ai vu tous les soleils y venir se mirer
S'y jeter à mourir tous les désespérés
Tes yeux sont si profonds que j'y perds la mémoire

À l'ombre des oiseaux c'est l'océan troublé
Puis le beau temps soudain se lève et tes yeux changent
L'été taille la nue au tablier des anges
Le ciel n'est jamais bleu comme il l'est sur les blés

Les vents chassent en vain les chagrins de l'azur
Tes yeux plus clairs que lui lorsqu'une larme y luit
Tes yeux rendent jaloux le ciel d'après la pluie
Le verre n'est jamais si bleu qu'à sa brisure

Mère des Sept douleurs ô lumière mouillée
Sept glaives ont percé le prisme des couleurs
Le jour est plus poignant qui point entre les pleurs
L'iris troué de noir plus bleu d'être endeuillé

Tes yeux dans le malheur ouvrent la double brèche
Par où se reproduit le miracle des Rois
Lorsque le coeur battant ils virent tous les trois
Le manteau de Marie accroché dans la crèche

Une bouche suffit au mois de Mai des mots
Pour toutes les chansons et pour tous les hélas
Trop peu d'un firmament pour des millions d'astres
Il leur fallait tes yeux et leurs secrets gémeaux

L'enfant accaparé par les belles images
Écarquille les siens moins démesurément
Quand tu fais les grands yeux je ne sais si tu mens
On dirait que l'averse ouvre des fleurs sauvages

Cachent-ils des éclairs dans cette lavande où
Des insectes défont leurs amours violentes
Je suis pris au filet des étoiles filantes
Comme un marin qui meurt en mer en plein mois d'août

J'ai retiré ce radium de la pechblende
Et j'ai brûlé mes doigts à ce feu défendu
Ô paradis cent fois retrouvé reperdu
Tes yeux sont mon Pérou ma Golconde mes Indes

Il advint qu'un beau soir l'univers se brisa
Sur des récifs que les naufrageurs enflammèrent
Moi je voyais briller au-dessus de la mer
Les yeux d'Elsa les yeux d'Elsa les yeux d'Elsa.

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