martes, 17 de noviembre de 2020

robert desnos / soñé tanto contigo













Soñé tanto contigo que perdiste tu realidad.

¿Todavía es posible tocar ese cuerpo vivo y besar en esa boca el nacimiento de la voz que adoro?

Soñé tanto contigo que mis brazos, acostumbrados a cruzarse sobre mi pecho al abrazar tu sombra, no se plegaron al contorno de tu cuerpo, tal vez.

Y ante la apariencia real de lo que me obsesiona y me domina desde hace días y años, me convertiré sin dudas en una sombra.

Oh, balances sentimentales.

Soñé tanto contigo que sin dudas ya no es hora de despertarme. Duermo de pie, el cuerpo expuesto a todas las apariencias de la vida y del amor, y a ti, la única que hoy importa para mí, menos podría tocarte la frente y los labios que los primeros labios y la primera frente que llegasen.

Soñé tanto contigo, caminé tanto, hablé, me acosté con tu fantasma, que ya tal vez no me quede más, sin embargo, que ser un fantasma entre los fantasmas y cien veces más sombrío que la sombra que se pasea y se paseará alegremente por el cuadrante solar de tu vida.

***
Robert Desnos (París, 1900-Campo de concentración de Theresienstadt, 1945)
Versión de Silvio Mattoni

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J'ai tant rêvé de toi

*

J'ai tant rêvé de toi que tu perds ta réalité.
Est-il encore temps d'atteindre ce corps vivant et de baiser
sur cette bouche la naissance de la voix qui m'est chère?

J'ai tant rêvé de toi
que mes bras habitués en étreignant ton ombre
à se croiser sur ma poitrine
ne se plieraient pas au contour de ton corps, peut-être.
Et que, devant l'apparence réelle de ce qui me hante et me gouverne
depuis des jours et des années,
je deviendrais une ombre sans doute.
O balances sentimentales.

J'ai tant rêvé de toi
qu'il n'est plus temps sans doute que je m'éveille.
Je dors debout, le corps exposé à toutes les apparences de la vie et de l'amour et toi,
la seule qui compte aujourd'hui pour moi, je pourrais moins toucher ton front et tes
lèvres que les premières lèvres et le premier front venu.

J'ai tant rêvé de toi,
tant marché, parlé, couché avec ton fantôme
qu'il ne me reste plus peut-être,
et pourtant, qu'à être fantôme parmi les fantômes et plus ombre cent fois que l'ombre qui se promène et se promènera allégrement sur le cadran solaire de ta vie.

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